posté le dimanche 28 novembre 2021 à 16:01

"Eau Douce" commenté à une amie.

 

Il y a des livres dont il est difficile de parler et qu’on laisse reposer, au risque de les oublier. « J’aime et j’aime pas en même temps », disais-je à une amie, il y a six mois, alors que j’approchais de la fin de ma lecture d’Eau Douce.
Comment résumer cette histoire ?
C’est l’histoire d’une fille possédée par des démons qui estiment être mal passés d’un monde à l’autre. Le livre donne la parole à la fille, mais aussi à certains de ses démons.
Je n’avais pas lu, alors, la présentation de l’éditeur, qui est la suivante.

 

Au Nigéria, dans la cosmologie igbo, lorsqu’un enfant est dans le ventre de sa mère, il est façonné par des esprits qui déterminent son destin. Mais à la naissance de la petite Ada, les portes entre le monde des humains et celui des esprits se sont temporairement ouvertes, le temps pour ces derniers de s’immiscer dans le corps de la fillette et de s’y trouver bloqués. Un pied dans le monde des vivants, un pied dans le monde des esprits, Ada va ainsi grandir envahie par un cortège de voix qui vont se disputer le contrôle de sa vie, fractionnant son être en d’innombrables personnalités.

Mais lorsqu’Ada quitte son berceau géographique pour faire ses études aux États-Unis, un événement traumatique d’une violence inouïe va donner naissance à un nouvel esprit, beaucoup plus puissant, beaucoup plus dangereux. Ce nouveau « moi » prend possession d’elle et se nourrit de ses désirs, de sa colère et de sa rancœur. La vie de la jeune fille prend alors une tournure de plus en plus inquiétante, où la mort semble devenir une séduisante échappatoire.

Ce premier roman à la force narrative enivrante donne à voir une version profondément originale des troubles de la personnalité. Avec une assurance rare et une énergie dévorante, Eau douce explore les abysses de l’être, pose un regard incisif sur les questions d’identité, de sexualité, de folie et d’acceptation de soi, et sonne l’émergence d’une nouvelle voix littéraire, unique et audacieuse.

Comment peut-on à ce point déflorer un livre ?

 

 
Une narration explosée

 

J’avais, alors même que rien n’en était révélé dans l’intrigue décousue, perçu des échos traumatiques et dissociatifs, amplifiés par une construction du texte assez peu confortable.
« J’aime les histoires avec des esprits/démons/divinités qui les introduisent de manière naturelle (même s’ils ont des airs de métaphores et de trouble dissociatif/personnalité multiple) », déclarais-je alors. Curieuse de voir où me mènerait ce livre étrange.
« J’aime pas tous les vides et le peu de place laissée jusque-là à l’Ada qui apparaît donc très (trop) distante et semble ne pas vivre pour de vrai. Les vides et le rattrapage un peu brouillon quand tu apprends qu’en fait y a eu 3-4 épisodes entre deux, mais qu’on t’a déjà racontés comme se suivant… »

 

Des échos traumatiques


Eau douce avait tout d’une tempête. Je l’ai reçu comme un récit destiné à soigner son auteurice. De ceux qui font sonner des alertes, personnelles et professionnelles et vous poussent à espérer qu’entre-temps, une bonne thérapie est passée par là.

Eau douce n’est donc pas un récit apaisé.
C’est un parcours tumultueux au sujet duquel je déclarais à mon amie : 
« Je suis curieuse, mais pas spécialement embarquée, dans ce qui apparaît comme un enchaînement d’événements tous hors du commun. On en viendrait à souhaiter la voir vivre un truc hyper ordinaire, juste pour penser qu’elle “existe” un peu. »

 

Ce qui est pathologique et ce qui ne l’est pas


Outre mon malaise, habituel face aux récits qui exposent l’âme morcelée et les blessures de leurs auteurs, j’ai éprouvé une forme de trouble face aux tentatives de faire entrer la norme, malgré tout, dans un récit de vie, forcément hors norme.

« C’est un livre intéressant de ce point de vue et aussi sur la possibilité d’être multiple, mais le traitement de la sexualité y est pathologisé et ésotérisé (ça se dit ?) »
Comme si la destruction des normes dans ce parcours de vie avait été trop incomplète pour cesser d’être référence.
Ada aime les hommes, elle aime les femmes, mais pas aux mêmes moments.
« Elle est dans la tourmente, alors elle modifie son corps, mais c’est pour saint Vincent. Et puis c’est à ce moment-là qu’elle a une amante. Mais quand tout se calme et qu’elle s’assagit, ses amants sont des hommes. »

 

 

 

Une vie ou un récit ?


 Il est difficile de juger d’un récit à ce point autobiographique. Comment voir la marque du travail de fiction sur une matière dont on ignore tout.
La cohérence relative donnée à l’ensemble fait qu’une part de la morale est sauve, là où on rêverait de lire l’histoire d’une libération totale des normes et des lois.
Mais c’est une vie. Pas un conte. Pas une expérience de pensée. Pas une démonstration.
Ce livre ressemble à une tentative pour mettre ensemble des ruines d’une vie détruite par la violence. Une tentative qui vaut ce qu’elle vaut, avec des ficelles plus ou moins solides, plus ou moins visibles, qui puisent dans la tradition et dans le surnaturel quand la psychiatrie et ses théories n’aident pas.
Ce n’est pas un coup de cœur, c’est un coup au cœur, une nouvelle occasion de réfléchir à la narration, à ses formes et à son pouvoir.

 


 


 
 
 

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