Aux Antilles, les veillées, pas forcément mortuaires, sont peuplées de contes qui commencent souvent, comme partout, par un échange rituel entre le conteur et son public:
« Hé ! Cric !
– Hé ! Crac !
– Yé Misticric !
– Yé Misticrac ! »
Alors l’histoire peut commencer et le conte, après le dialogue, prend la couleur indéfinissable des métissages les plus audacieux :légendes d’Afrique et des Caraïbes, contes populaires français et récits venus de la Chine ou de l’Inde et des héros qui sont des crabes, des tigres, des araignées, des singes ou des lapins, des poissons ou bien des humains, noirs de peau avec un dieu blanc ou des dizaines de divinités.
Lorsque le conte est bien lancé et que le conteur craint d’ennuyer ou de se sentir seul, il lance de nouveau une formule pour vérifier que fonctionne l’écho:
« Cric ?
– Crac !
– Est-ce que la cour dort ?
– Non, la cour ne dort pas. »
Mais que se passe-t-il quand on n’entend plus rien ? Est-ce le conteur qui s’est endormi ? Tous ces mois sans une note, si je n’ai plus cherché vos échos, si je n’ai pas lancé de formules, c’est que la vie, celle de tous les jours, ne m’en a pas laissé le temps.
Il y a eu les fêtes et leurs lots de questions, 2009 et des cadeaux de la vie, énormes et inattendus, qu’il a fallu intégrer à l’ensemble, des refus agréables et des publications sympathiques ou parfois décevantes, l’aboutissement de vieux projets et de nouveaux textes écrits, quelques soumissions par-ci par-là avec le suspense habituel : conviendra ? conviendra pas ?
Un événement aussi, qui a fait date, à plusieurs milliers de kilomètres de mon nombril et qui pourtant, a réveillé de vieilles questions sur l’identité : « la crise antillaise ».
C’est une histoire d’identité, oui.
C'est la crise d’un adolescent qui se demande qui il est :« Je veux être un adulte ! Rendez-moi mes parents ! »
La crise d’une ancienne victime qui n’a pas dépassé ses blessures et a cohabité des années avec son bourreau. Lorsque cette victime muette se réveille enfin, elle hurle sa douleur, sans voir que son entourage n’est plus celui que la douleur a si bien figé dans son esprit. Elle crie sa haine et réclame vengeance, car elle n’a pas su se reconstruire.
Qu’est-on quand on est tant de choses à la fois ? Accepter d’être pluriel est beaucoup plus difficile que de se réfugier dans un coin du prisme pour faire pousser de la haine sur chaque cicatrice. On rêve de sentiments simples, d’identités d’un seul bloc, sans compromis, sans dilution.
La société Antillaise n’a pas su définir les contours mouvants de son identité et de ses souffrances.
Elle en appelle aux arguments de la raison avec la passion des peuples écorchés. Le discours ne peut pas porter. L’esclavage et le chômage ne sont pas sur le même plan, le pouvoir d’achat et celui de guérir ne sont pas de même nature, l’injustice sociale et l’oppression ne sont pas sur un pied d’égalité.
Elle hurle et se trompe de champ lexical. Elle pleure et s’étonne de n’être pas comprise.
La « crise antillaise » n’est pas une révolution marxiste. C’est le cri inarticulé d’un enfant maltraité qui a grandi sans oser, sans pouvoir s’exprimer. C’est un triste malentendu.
« Est-ce que la cour dort ? »
Commentaires
@xmissbzh : "Ce peuple connaît son histoire."
L'histoire? elle se lit, se relit, s'interprète en fonction de ce qu'on veut lui faire dire. Quand j'étais enfant, il n'y avait pas encore, officiellement d'histoire des Antilles Françaises dans les manuels. On apprenait les noms des rois de France, ceux de fleuves situés à 8000 km.
Le traitement par le silence a bel et bien existé. Le non-dit se refoule, reste inconscient et devient potentiellement destructeur. Cette haine, je l'ai vue s'exprimer ouvertement ou plus discrètement.
Si je n'avais pas été une sorte d'exilée de l'intérieur, peut-être l'aurais-je ressentie moi-même, sans me poser de questions, sans m'en rendre compte.
@ Luna : difficile d'être éveillé en plusieurs endroits à la fois. Les rêve sont peut-être un éveil, ailleurs dans une autre dimension.
@ lafianceedusoleil : merci. un long après-midi de quelques jours.
Non, elle ne dort pas. Me concernant, j'ai été en martinique il ya bien longtemps et je sentais déjà un malaise racial. Ce peuple connaît son histoire. Maintenant, isolé sur son île, il lui est difficile de revendiquer ses droits et certains ne supportent pas les vagues touristiques. Il yavait encor com un parfum colonial. L'esprit du blanc est ressenti envahisseur. L'identité antillaise est encor à refaire...
coucou
un petit coucou pour te souhaiter un bel après-midi.
kikou
Non, la cour ne dort pas ! Elle attendait que le conteur se réveille.