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Titre du blog : Kaleidoscope
Auteur : ktsteward
Date de création : 26-05-2008
 
posté le 29-02-2020 à 17:28:08

Conventions : 15 années de science-fiction en milieu fermé

UN POLIEDRO EN EL TIEMPO: Juegos astronómicos


 
 
« Déjà 15 ans ! »
Voilà ce que je me disais tandis que mon train s’approchait d’Amiens pour la 45e convention française et la 40e européenne de science-fiction.
15 ans que je traîne dans ce milieu, mais sans lui appartenir. « Je ne sais pas appartenir. »
15 ans, donc, depuis ma première convention, à Flémalle en 2003.
J’ai trois interventions prévues. M’adresser à mes pairs, c’est logique au bout de 15 années.
J’aurais pu m’arrêter là, replier le rétroviseur et j’aurais gardé mon sourire.
Mais je n’ai pas pu m’empêcher de suivre le cours de ma pensée.
En 2003, je débarquais dans le Fandom SFF, le sous-milieu de la littérature probablement le plus accueillant.
Alain l. B. m’avait conviée à passer à la convention avec mon compagnon d’alors, lecteur de SF. Il nous présentait des gens, nous expliquait, nous recevait.
Deux ans plus tard, à Tilff, je donnais ma première conférence, une présentation sur l’Arbre et la SF, jugée « trop universitaire », ce qui m’allait bien comme reproche.
Il a fallu attendre 2011 et une autre convention organisée par le même pour qu’on me donne de nouveau la parole.
Cette fois, encore 7 ans après, c’est Pierre G. qui a pensé que j’avais quelque chose à dire.
Pierre et Alain, Alain et Pierre, les deux qui ont cru en moi alors que j’en étais incapable, les deux qui m’ont donné ma chance, proposé des activités et fait confiance plus d’une fois.
Oh ! Ils n’ont pas toujours été irréprochables !
Alain avait tout de même osé me demander, une fois, par e-mail, comment se dépatouiller d’un personnage noir qu’il voulait faire rougir. J’avais dû lui rappeler, en faisant appel à son intelligence, que rougir ne signifiait pas seulement changer de couleur, qu’il y avait derrière tout ça des émotions qu’il était capable de nommer et d’exprimer de multiples façons.
Préjugés stupides issus de son éducation et de son milieu, mais jamais rien de délibérément méchant. Il s’intéressait surtout à l’humain que j’étais, à mes écrits, à mes idées et à mon identité hésitante.
Alain était tout disposé à apprendre et à se remettre en question, mais ça ne l’a pas empêché d’être de nouveau blessant.

Quand il m’a invitée pour ma deuxième conférence, il a cru bon de me préciser : « Je veux de la diversité. Tu es femme et tu es noire ! »
J’allais sortir mon premier recueil de nouvelles et j’avais cru naïvement que mon œuvre, insignifiante selon certains, était la raison première de son invitation. 
Peut-être pensait-il me flatter en m’annonçant que ce que j’étais, bien malgré moi, avait plus d’importance que ce que, volontairement et avec beaucoup de travail, j’avais accompli.
J’étais quand même passée de poétesse inculte en SF à autrice de nouvelles de science-fiction et critique dans ce même genre !
Par réaction, j’avais choisi de proposer une conférence sur le thème : « SF et Discriminations », ce qui avait suscité des conseils d’amis : « Ne vas pas t’enfermer là-dedans ! » « Pourquoi un thème pareil, c’est absurde ! » « Tu es bien plus qu’une noire. »
Je n’ai pas eu de mal à trouver mon introduction. J’ai parlé d’un milieu « prêt à accueillir des petits hommes verts, mais peu enclin à faire de même avec une petite femme noire. »
J’ai aussi raconté comment un participant de convention m’avait blessée avec une remarque raciste, après toute une année scolaire de racisme ordinaire dans la jolie ville de Douai. J’ai raconté mes larmes, toujours en convention, quand un copain, se croyant drôle, s’est fendu d’une blague sur les noirs vivant dans des cocotiers, son insistance à vouloir m’expliquer que ce n’était que de l’humour et que j’avais tort d’être blessée…
Le reste de la conférence était très sage. Très propre. Très universitaire ?
Je collais le plus près possible à des définitions des termes « préjugés », « stéréotypes » et « discriminations », que j’allais ensuite chercher, à travers leur expression la plus visible, dans quelques romans de science-fiction.
Pas de quoi casser une seule patte à un connard. Parce qu’on était quand même entre nous, « comme une famille ». Oui, justement, les familles, je ne connaissais que trop bien. J’avais quitté la mienne dans l’espoir d’avoir une vie.

Invitée à l’Eurocon 2018, je m’étais aperçue que je n’apparaissais au départ que deux fois dans le programme : une première fois pour parler de mes deux numéros de Galaxies consacrés à l’Afrique et une autre pour participer à la table ronde initiée par Dounia, mon amie marocaine, sur les personnages féminins en SF. 
Tiens ! Noire et Femme, une fois de plus.
Il avait fallu que je fasse remarquer à l’organisateur que, contrairement aux autres auteurs présents, je ne disposais pas d’un créneau pour parler de ce que j’ai pu faire en dehors de ces numéros récents de sa revue. J’ai demandé à être traitée comme les autres. Je n’aime pas réclamer. J’ai obtenu mon créneau. Le dimanche après-midi. Il resterait peut-être des gens.

Dans ce train qui me conduisait à Amiens, j’avais de plus en plus de mal à sourire.
Je m’inquiétais.
Le « milieu », le Fandom, avait certainement évolué.
Et, après tout, je me rendais à une convention spéciale : une Eurocon dont l’un des thèmes était l’Afrique, une convention mettant à l’honneur plusieurs invités liés à l’Afrique et qui affichait une ouverture sur l’Europe.
Ça allait bien se passer.

« Amiens Terminus ! Tout le monde descend. »
C’était ma deuxième convention à Amiens et j’avais entendu plusieurs personnes vanter le programme de Némo 2014. La visite des hortillonnages et celle de la maison de Jules Verne avaient marqué les esprits.
J’avais apprécié, pour ma part, qu’on puisse y voir du théâtre, mais il m’en restait un goût amer : aucune conférence, aucune table ronde, ne donnait la parole à une femme. En quatre jours d’activité, on pouvait noter une seule apparition féminine parmi tous ces hommes : Amélie F., rendant compte avec ses camarades masculins de l’activité Rempart de l’année.
Dois-je parler de Rempart ?
Non. Je n’ai jamais participé aux séjours de cette association qui réunit des auteurs et amateurs du milieu autour d’un projet, souvent littéraire, pendant plusieurs jours en amont des conventions. Je n’ai jamais eu envie d’un séjour en huis clos avec ces messieurs férus de jeux de mots et les rares dames qui les accompagnent parfois.

Ça avait peut-être changé.
Déjà, j’étais au programme !
Valise à la main, debout devant la gare, incapable de retrouver quelque repère que ce soit, je m’interrogeais. Étais-je venue en train la fois précédente ? Je ne savais plus.
Pas de bénévole avec une pancarte à mon nom ou une simple affiche de la convention. Rien. D’un autre côté, personne n’ayant demandé à quelle heure arrivait mon train, on ne risquait pas de m’attendre. Google maps, une batterie faible et mon sens de l’orientation très personnel, m’ont donné l’occasion de me perdre un peu et de constater que, nulle part dans la ville, ce double événement culturel n’était annoncé. Qu’importe. J’ai fini par trouver.

L’accueil, c’était essentiellement un badge et une enveloppe contenant les tickets-repas.
« Où suis-je ? Comment ça marche ? » : mêmes interrogations que sur le parvis de la gare. Mais il n’existait pas d’application pour m’indiquer que « les stands, c’est premier arrivé, premier servi », ou que « le bar fonctionne avec des tickets rouges achetés à l’accueil ». 
L’accueil ? L’endroit où l’on m’avait donné mon badge. Devant les gens qui s’y trouvaient, on pouvait aussi voir des livres. Guide de la convention et recueil des nouvelles pour le prix de l’année. J’y avais droit ? Ah ! on avait oublié de me les donner, et de me préciser que le programme avait déjà changé plusieurs fois, mais était affiché là-bas, sur le panneau du service des sports. On avait aussi oublié de me préciser que les tickets-boissons, c’était cinq euros pour deux bières ou 4 petites bouteilles d’eau ou 4 cafés…
L’impression de ne rien comprendre ne m’a pas quittée de toute la journée, mais j’étais épuisée. Ça pouvait s’expliquer ainsi.
Les habitués arrivaient peu à peu et, parmi eux, ces hommes ventripotents qui s’amusaient à me faire la bise en frottant la plus grande surface possible de leur panse sur mon corps. Les premières fois, j’avais été tellement surprise que je n’avais rien su dire. C’était peut-être une marque courante d’affection… 
Quand j’ai finalement perçu assez clairement le regard concupiscent et la bave aux lèvres de ces hommes qui, une fois qu’ils m’avaient tripotée, n’avaient absolument rien à me dire, je m’en suis trouvée très mal à l’aise. Cependant, ni mes remarques ironiques ni mon refus poli de l’accolade pour cause de chaleur ou de « pas envie » ne parvenaient à les dissuader. Ils avaient droit à leur frottage de panse et se serviraient, quitte à forcer un peu le corps réticent face à eux.
Ce n’était pas grave. Rien n’était grave. J’avais toléré tous les débordements si longtemps !
Mais en 2018, ça ne passait plus si facilement.
Je me suis entendue penser : « 15 ans que tu te dis que c’est un mauvais moment à passer. 15 ans que ces attitudes te dérangent et que tu ne dis rien pour ne pas les mettre, eux, mal à l’aise. Comment pourraient-ils t’entendre ? »
Je m’étais appliquée pendant des années à ne pas faire tache, à prendre sur moi pour le bien-être d’autrui, à me sacrifier pour que règne l’harmonie.
Partout ailleurs dans ma vie, pourtant, c’était terminé. Je ne m’écrasais plus. Je m’affirmais, je choisissais mes interlocuteurs, je poursuivais de beaux projets, je réalisais de belles choses.
Mais là, dans une convention SF, force était de constater que tout le monde s’en moquait. Pas une question sur mes travaux, mes dernières sorties, mes idées…
Sauf de la part de quelques personnes, étonnamment, des femmes, qui me faisaient la bise, voire une accolade, sans chercher à sentir mes formes à travers mes vêtements et se rappelaient que j’écrivais : « Tu sors un bouquin bientôt ? »

15 ans et pas mal de travail.
Des nouvelles. Une cinquantaine dans de chouettes anthologies, dans des revues, mon recueil… ça commençait à faire beaucoup de livres.
J’avais demandé s’il y aurait un libraire à la convention et l’organisation m’avait signalé que « celui que tu apprécies mollement » serait présent.
Oui, je dois avouer que je manifeste un enthousiasme limité à l’idée de croiser quelqu’un, aussi sympathique puisse-t-il se montrer par ailleurs, qui m’a humiliée pendant plusieurs jours, il y a de ça quelques années et qui a fait mine de recommencer il y a un an, devant témoin. Devant l’attitude incompréhensible du type, j’avais fini par m’entretenir avec lui. Rien ne m’avait permis d’éliminer ma conviction d’être en présence de ce qu’en termes intersectionnels, on appelle la misogynoir.
Quelques personnes ont eu à entendre les raisons de ma « molle appréciation » du bonhomme, mais seule une grande écrivaine, Catherine D., le jour même de la deuxième tentative d’humiliation, a adopté une attitude digne, refusant ce type de discrimination et l’affirmant clairement.
Pour les autres, c’était « surprenant », voire « décevant », mais surtout « à peine croyable. Tu es sûre ? » parce que le type, bizarrement ne s’était pas jamais montré incorrect avec des hommes blancs plus influents que lui. Étonnant !
Puisque ce libraire avec son entreprise était indispensable au milieu, c’était à moi d’éviter de le croiser, à moi de me protéger d’une éventuelle troisième tentative d’agression. 
Je ne saurais donc pas si, en tant qu’invitée, j’avais des livres achetables sur place. J’en doute, à vrai dire. Car malgré l’enthousiasme des personnes qui ont assisté à mes interventions, malgré leurs demandes de références et les conversations passionnées, je n’ai signé que les 5 exemplaires de mon roman que j’avais apportés dans ma valise et quelques exemplaires des deux revues que j’ai dirigées, en vente dans un stand hors librairie.

Le premier jour de la convention, à déjeuner, j’ai su qu’il manquait un écrivain pour une table ronde sur le thème : écrire de la SF en 2018. Sans réfléchir et sans penser à douter, je me suis proposée pour y participer. Je remplaçais un homme, Pierre B. , qui devait répondre avec un autre homme, Laurent G., aux questions d’une femme, Natacha V. D. N’avait-on proposé qu’à eux de répondre à cette question technique ? En tant qu’auteurs reconnus et primés, ils possédaient peut-être une expertise sur l’écriture de SF en 2018.
Je n’y ai pensé qu’après coup, m’épargnant un désagréable syndrome de l’imposteur.
Finalement, la table ronde était bien intéressante s’il faut en croire les participants et les réactions du public. On peut n’écrire « que des nouvelles » et avoir des choses à dire dans une discussion avec un grand romancier de SF.
Il a fallu attendre le soir pour que cette question de la valeur des uns et des autres revienne d’une autre façon.
Au moment de mon arrivée dans le fandom, j’avais déjà remarqué ces gens qui mesurent les autres. « Qui est-ce ? Est-ce qu’iel écrit ? Combien vaut-iel ? Est-ce une menace ? Est-ce une personne intéressante ? »
Avec ma poésie, mon manque total d’ambition et, probablement, mon apparence, je passais largement en dessous des radars. Nombre de personnes, piliers du milieu et croisées dès 2003 m’ont consciencieusement ignorée, jusqu’à ce que l’intérêt persistant d’une maison d’édition comme La Volte, plus de dix ans plus tard, me signale à leurs détecteurs, jusqu’à ce que mon obstination à rester là et à travailler, finisse par me rendre visible.
Heureusement, à côté de ces tristes sires, il y avait l’inénarrable Georges, curieux des goûts littéraires et des activités de tout nouveau venu. Il s’y trouvait aussi des personnes comme Alain le Bussy, Roland Wagner, Yal Ayerdhal… Mon Dieu ! Ils sont tous morts ! Ces mecs qui ont accueilli avec ouverture et bienveillance tant de nouveaux venus !
Il en reste, de ces gens accueillants, mais ils sont surtout chez les lecteurs, maintenant, me semble-t-il. Ceux qui font sentir aux nouveaux qu’ils ont le droit d’être là, quoi qu’ils aient déjà écrit ou publié.

Le premier soir de la convention d’Amiens, j’ai commencé à m’inquiéter, après la pièce de théâtre, de l’endroit où j’allais dormir. Je n’avais, en effet, aucune envie de discuter avec ceux qui estimaient que théâtre et science-fiction n’avaient pas à se mélanger. « Résidence Castillon » m’avait simplement annoncé l’organisateur quand je l’avais interrogé la veille et je n’avais pas cherché plus loin. À 22 heures, déjà fatiguée, j’apprenais qu’il me fallait récupérer une enveloppe avec la clé et la carte qu’on aurait dû me donner à l’accueil… L’accueil ? Ah oui !
J’apprenais aussi que l’endroit se trouvait à 20 minutes à pied, ce que le grincement douloureux dans mon genou récemment fêlé semblait désapprouver.
« J’y vais comment ?
— Il y a sûrement des gens qui y vont. »
Mon interlocuteur est alors parti s’occuper de quelque chose d’autre.
Il ne s’était pas trompé. Un participant se rendait à la résidence universitaire et a accepté de me conduire là-bas, ainsi que la dame australienne qui était avec nous et ne pouvait pas marcher trop longtemps. Les travaux nocturnes sur les voies et les improbables détours qu’ils nous ont occasionnés m’ont permis de partir en fou rire et de diminuer les tensions accumulées.
Sans ça, j’aurais sans doute pleuré en arrivant à ma chambre.
Une chambre d’étudiant, c’est spartiate. Celle-ci l’était encore davantage. Un lit, un bureau, une armoire, une « salle de bains ».
Cette dernière, en plastique moulé, était la plus minuscule qu’il m’ait été donné de voir et d’utiliser. Un module offrant la possibilité de se brosser les dents ou de se laver les cheveux sans qu’il soit nécessaire de se lever de la cuvette des w.-c., et le bonheur incomparable d’un rideau de plastique collé aux fesses pendant toute la durée de la douche.
Le plus consternant c’était le linge de lit : un kit jetable en 100 % polypropylène. J’en avais déjà vu, mais c’était dans un camping.
J’avais déjà dormi dans des conditions bien plus sommaires, y compris sous une tente, sans matelas gonflable… mais c’était volontairement et pour de très courtes durées. Pas comme « invitée ».
Le pire, de toute façon, n’était pas les conditions elles-mêmes, mais les questions qui, aussitôt, se sont présentées à mon esprit : « Qui d’autre parmi les invités dort dans des draps en synthétique jetable ? Où dorment les autres ? Quel est le classement ? » 
 Mon enquête, le vendredi, m’a permis de découvrir un classement à 3 étages : Les « première classe », logés à l’hôtel Holiday Inn, les « classe intermédiaire », à l’Appart City et les « low cost », comme moi, au CROUS, à l’autre bout de la ville.
J’ai pensé que la première classe comprenait tous les auteurs qui venaient de l’étranger. Seulement, Sofia S., l’Américaine, était hébergée « classe intermédiaire », comme l’auteur reconnu Laurent G., tandis que Faycel L., venu tout droit d’Algérie devait se contenter du « Low Cost ».
Quelle qualité fallait-il posséder pour aller au Holyday Inn ? Il fallait sans doute être un homme, vieux et prestigieux comme Philippe Curval ou Geoff Ryman…
J’ai appris que plusieurs invités avaient contesté leurs conditions d’hébergement et s’étaient trouvés relogés, certains à leurs frais.
Moi, je n’allais pas contester. Non seulement j’avais été prévenue beaucoup trop tard, mais je n’avais pas l’audace de clamer : « Je mérite mieux ! »
Alors j’ai dormi dans mes draps en polypropylène, j’ai testé et outrepassé la résistance de mon genou. Je me suis félicitée d’avoir pensé à prendre dans mes affaires une serviette de bain personnelle, parce qu’il n’y en avait pas, et de n’avoir pas eu l’idée de venir accompagnée !

Pour le reste, l’égalité était globalement respectée.
Pas d’eau, ni bouteille, ni pichet, pour aucun intervenant, malgré la chaleur estivale.
Aucune possibilité de boire un café sans l’acheter.
Les repas se prenaient au Self du resto U, pour 15 € le repas de cantine, correct, mais ne proposant aux déclarés végétariens, qu’un supplément de légumes : des protéines de brocoli ou encore des carottes, sans doute parce que ça rend aimable.

Côté programme, la richesse était au rendez-vous. Des interventions en anglais, souvent traduites vers le français et d’autres en français non traduit.
Les deux conventions se côtoyaient presque sans se rencontrer. Les fans de l’Européenne semblaient se connaître entre eux, mais n’avaient que rarement l’occasion de se mélanger aux Français qui, de leur côté, n’assistaient guère aux conférences en anglais.
L’attribution des stands « au premier arrivé » ne facilitait pas non plus l’ouverture. Beaucoup de stands non francophones se trouvaient en sous-sol, tandis que la salle principale accueillait, côte à côte, les participants de la convention française, arrivés et installés les premiers.


À l’occasion de la présentation de mes deux numéros de Galaxies, j’ai posé de nouveau la question qui cherche sa réponse depuis un an et demi : « Pourquoi personne n’a-t-il jamais interrogé ma légitimité à parler de l’Afrique et de sa science-fiction ? »
« Parce que le travail était bien fait » ne représente, on le sait, qu’une partie de la réponse.
J’ai apprécié de pouvoir signaler les écueils que j’ai tâché d’éviter, les difficultés rencontrées, les efforts de vigilance quant à mes propres représentations.
Les participants dans la salle étaient de ceux qui s’intéressaient au sujet, des gens prêts à entendre : « je ne sais pas ce qu’est l’Afrique », « ça n’a pas de sens de vouloir caractériser une SF africaine uniforme » ou « je n’ai aucune autre expertise que mon désir de bien faire. »

Plus aptes que moi à aborder ces sujets, deux auteurs publiés dans le Galaxies 46 avaient été invités aussi. Sofia S. (classe 2) et Moussa O. E. (classe 1, si je ne m’abuse) venaient de loin pour rencontrer les publics français et européen.
La première, très sociable et rapidement rassurée par la présence de l’éditeur de la version française de son Étranger en Olondre, a trouvé le moyen de naviguer dans la pagaille ambiante.
Le second, plus réservé, s’y est perdu.
C’est Geoff (classe 1) qui est venu me chercher pour demander de l’aide lorsque l’auteur mauritanien s’est trouvé seul, face à deux personnes, sans même un présentateur. Renonçant à savoir ce que l’organisation avait prévu, je me suis improvisée intervieweuse, nous permettant d’apprendre que l’homme, professeur de philosophie, peu connu en francophonie, était, en fait, une star dans le monde arabe.
Plusieurs fois durant son séjour, il s’est retrouvé isolé. La barrière de la langue, cette fois, ne pouvait pas être invoquée.

Que dire de ces moments pénibles, quoique brefs, où j’ai eu à subir « l’humour » raciste ou misogyne de ces copains de longue date qui voulaient sans doute me taquiner, mais ne parvenaient qu’à me consterner ?
« Femme »
« Noire »
Et maintenant « Africaine ».
Trois mots présentés comme « gentiment insultants » dans des blagues-emballages indigentes.
Il m’est arrivé de répondre – mais pas souvent – soit par un regard navré, soit par une remarque du genre : « Tu as de la chance de tomber sur moi, avec ta blague, mais tu devrais arrêter ça. Un autre pourrait te casser la gueule ! »

Comment avec tous ces éléments parviendrais-je encore à me convaincre que le milieu de la SFF française était ouvert et progressiste ?

Le samedi, fin de matinée, affligée d’un début de migraine, je devais parler « personnages féminins » avec le même Laurent G. (2e classe), devant un public nombreux.
On aurait pu se contenter de parler technique et character building, mais nous avons entamé des échanges bien moins superficiels et la discussion s’est élargie aux représentations, aux préjugés et à l’hypocrisie d’un milieu qui feint d’ignorer ses minorités et leur laisse la responsabilité de promouvoir la diversité tout en les enfermant dans des cases spécifiques.
C’est ainsi que, présente dans le public, Stéphanie N. a témoigné de ces autres bornes d’un groupe de personnes, encore incapables, 14 ans après sa transition, de l’appeler par son prénom, de la saluer et de lui manifester un minimum de respect.
Elle a parlé et a été applaudie et c’est à ce moment-là que j’ai su.
J’ai su que ça suffisait.

Fini de mettre sous le tapis les agissements condamnables.
Fini de trouver des excuses à ceux qui n’en ont pas.
Fini de supporter en silence et de laisser se perpétuer des comportements inacceptables.
Enough is enough !
Parce que tous, nous méritons mieux.
Nous méritons mieux que de plier devant de vieux mâles bornés et ventrus qui savent tout et écrasent autrui.
Nous méritons mieux que les classements à 3 étages, mieux que les couleurs invisibles, mais tellement déterminantes, mieux que les blagues à deux balles et des excuses au même tarif sur la nécessité, vous comprenez, d’avoir une bibliographie cohérente, même au détriment des personnes.
Nous méritons de faire vivre enfin un milieu ouvert et en mouvement, qui sait s’adapter au présent, avant de parler du futur ; qui sait se remettre en question et se remonter les manches pour créer les conditions du respect pour tous ses membres.

Août 2018
 

Commentaires

SilèneEdgar le 05-03-2020 à 06:52:51
Je ne suis pas surprise, hélas, de ce que tu racontes, mais ça me dégoûte.

Merci pour ton témoignage, c'est important pour pouvoir dire avec toi : "Fini !" et se remonter les manches.