J'ai été de ceux qui ont des arguments tout faits pour excuser tous les crimes.
J'ai été de ceux qui, nourris au sein, de cette vision du « eux contre nous », se sentent en guerre au quotidien.
J'ai été de ceux qui, plongés, dès la naissance, dans un système de pensées religieux, sont incapables de penser par eux-mêmes.
J''ai été une petite fille prisonnière d'une vision du monde simple et manichéenne, coincée dans une façon de penser et incapable d'en sortir, non pas par bêtise ou par entêtement.
Coincée parce que j'ignorais qu'il y avait des portes et, derrière elles, d'autres façons de penser.
Enfant, j'entendais des discours d'exclusion.
Peuple choisi contre tous les incroyants.
Peuple élu, supérieur mais non reconnu.
Peuple persécuté et qui se préparait à l'être encore davantage.
Mon père parlait souvent du paradis dont nous hériterions à force de sacrifices, mais aussi des bois où nous irions nous cacher « à la fin des temps ».
Il n'y avait que ce monde-là.
Que cette vérité.
Les adultes trouvaient chaque jour des preuves, dans les disques à l'envers, sur les paquets de lessive et dans les faits divers des journaux. Des preuves irréfutables que « la fin est proche », des « signes des temps », des indices que Ça avait commencé.
Pourquoi douter de ceux qui savent ?
Au contraire, j'étais passionnée. Prête à me battre pour ce qui était juste. Prête à mourir pour hâter le règne d'une Vérité plus grande, plus importante que moi.
Puis, je suis allée à l'école.
Pas l'école privée. Nous étions pauvres, heureusement.
L'école publique.
Et j'y suis restée.
On m'a autorisée à rater l'école le samedi. Ce que j'ai fait, jusqu'au bac. Un jour par semaine raté « pour des convictions religieuses », comme on dit.
L'idée d'agir autrement, d'être assise parmi mes camarades un jour de repos sacré n'était même pas concevable. Un péché impardonnable, une trahison pire que la mort même.
Je restais fidèle à la foi de mes parents.
Pendant ce temps, mon cerveau se transformait.
Ma pensée s'ouvrait.
Mon horizon s'élargissait.
En douceur.
Pas par la force.
Parce que je suis allée à l'école.
J'y suis allée et j'y suis restée.
J'ai vu des directions interdire l'école à des enfants parce qu'ils ne venaient pas le samedi.
« Ils n'ont qu'à aller dans les écoles privées ! »
J'ai vu des directions rejeter hors de l'école des lycéennes voilées, sans ouvrir le dialogue.
« Elle a seize ans, elle peut démissionner si la laïcité ne lui va pas. »
Aujourd'hui, je vois des directions, des collègues, essayant, soudain, d'inculquer de force les bonnes valeurs aux petits Ahmed, Medhi et Moustapha, qu'ils ont pris de haut depuis des années. Essayant d'en appeler à la raison de Ouarda, Mounia et Zineb, qu'ils ont méprisées tout ce temps-là et qu'ils méprisent encore.
« Vous avez tort, vous êtes du mauvais côté ».
Ça ne marche pas comme ça.
Ça ne marchera pas comme ça.
Comme beaucoup, je suis blessée, dans ma chair et dans ma plume.
Mercredi 7/1, je me suis agglutinée auprès de gens qui prônent l'écoute contre la haine, l'expression contre l'oppression. Il y avait aussi les autres. Ceux qui avaient peur, surtout peur et qui tentaient de conjurer leurs angoisses, de se sentir moins seuls.
Dimanche11/1, je défilerai avec des gens qui croient au respect de l'autre, aux libertés fondamentales, à l'amour, au vivre ensemble.
Il y aura aussi les autres. Ceux qui ont peur et qui cherchent vengeance. Ceux qui haïssent ce qui n'est pas comme eux. Ceux qui réclament plus de sang et de larmes.
Je suis allée à l'école.
J'y suis restée.
Parce que l'éducation me semble plus efficace que la répression.
Commentaires
à défaut de pouvoir proposer à chaud une réflexion globale et posée
Merci pour ce magnifique témoignage