Des mois et des mois déjà depuis le dernier post !
Du temps, beaucoup. Et moi qui croyais sincèrement en manquer! Qu'avez-vous fait pendant vos soirées d'hiver, vos week-ends et vos congés ?
Moi, j'ai écrit. Relu. Envoyé. Mais, surtout, j'ai lu.
Une ultime relecture de mon gros projet autobiographique, le plus ambitieux de toute ma vie, avant de le confier à l'éditeur qui a déclaré vouloir le publier (Je vous en dirai plus d'ici la rentrée 2012/1013).
Ce simple envoi m'a plongée dans des abîmes de questionnements sur l'écriture, sur ses liens avec l'intimité, sur l'importance de se taire et l'obligation de parler, sur la légitimité de mon besoin d'écrire, sur l'unicité banale d'une vie d'humain.
La lecture seule pouvait m'aider à chercher, à creuser, peut-être même à trouver du sens au chaos ainsi invoqué.
Après Écrire, de Marguerite Duras, seules les Vies Minuscules de Pierre Michon voulaient bien se laisser lire.
C'est étrange cette façon qu'ont les livres de se présenter à vous, ouverts, prêts à être pénétrés ou alors fermés, décidés à vous refuser.
Vies Minuscules, donc, en partie à cause de Shalmaneser, le plus fervent disciple de Michon, et de sa façon d'en parler et à cause de la librairie Charybde.
Livre lu, voici les questions soulignées : Peut-on écrire sans s'écrire ? Peut-on écrire en évitant de salir les mots sacrés avec la crasse du commun de l'existence ?
Et voici les phrases qui, à cause d'un trait de crayon resteront bien après la dernière page.
Des réflexions sur le temps, ma plus grande angoisse à ce jour, et sur la supériorité évidente des vivants sur les morts. Ceux-ci ont bouclé la boucle et souffriront n'importe quelle lecture de leur existence alors que ceux-là, en réajustement perpétuel, s'échappent toujours des cases de nos grilles de lecture.
« ... mais les morts ont le temps de s'attarder, nul désir effréné de leur fin ne les tire plus en avant.»
« Les choses du passé sont vertigineuses comme l'espace, et leur trace dans la mémoire est déficiente comme les mots : je découvrais qu'on se souvient.»
J'y ai aussi trouvé des échos à mes questionnements sur le pouvoir supposé des mots. Des mots puissants, quelquefois insuffisants, qu'on désire malgré tout, faute de mieux, qui, tour à toutr, nourrissent l'espoir et déçoivent cruellement.
« Que les mots sont vastes, qu'ils sont douteux. »
« Si l'Écrit m'était donné, pensais-je, il me donnerait tout.» puis « “Si l'Écrit t'est donné, il ne te donnera rien.” : je m'étais mis au pied du mur, et je n'étais pas maçon.»
« Le désert que j'étais, j'eusse voulu le peupler de mots, tisser un voile d'écriture pour dérober les orbites creuses de ma face ; je n'y parvenais pas; et le vide têtu de la page contaminait le monde dont il escamotait toute chose. »
« Je ne savais pas que l'écriture était un continent plus ténébreux, plus aguicheur et décevant que l'Afrique, l'écrivain une espèce plus avide de se perdre que l'explorateur; »
J'y ai également trouvé des résonnances puissantes avec mon absence de parents (ou la présence entêtante de mes parents insuffisants, ce qui revient au même) :
« ... fils perpétuel de la toute-absence du père et la fuite des femmes..»
« Le père cependant mûrit, la graine d'absence en lui germa, quand on pouvait croire seulement qu'y dépérissait l'espoir; »
D'autres passages sont soulignés parce que beaux, poétiques, intrigants.
D'autres encore qui, faute de crayon à portée sont restés noyés dans le reste et ces pages entières où il aurait fallu tout souligner.
Une lecture torture voluptueuse dont je suis sortie changée.
Que lire ensuite ? Difficile à dire.
Qu'écrire après ça ?
L'évidence même. Un projet abandonné devant la difficulté à développer des vies que je ne connais que très mal et qui, malgré tout, ont pesé de tout leur poids sur ma vie, sur ma plume et mes séances de divan. Mes vies minuscules à moi ont retrouvé une légitimité après la lecture des 250 pages et 8 vies racontées par Pierre Michon.