posté le 08-01-2012 à 17:21:39
Comme cochons
Les fêtes, aux Antilles, du moins pour ceux qui y étaient suffisamment intégrés, étaient l'occasion de tuer le cochon. Boudin noir, pâtés salés, ragoût de porc avec ignames et pois d'angole... Noël, jour de l'an, une période de génocide où il ne fait pas bon être un cochon.
Cette note n'étant pas prévue pour la toute nouvelle section "cuisine", nous ne livrerons ici aucune recette. Bornons nous à rendre un hommage ému à tous les gorets, verrats et autres nourrains disparus avant d'avoir franchi le seuil de 2012.
Une lecture de cette fin d'année se rappelle opportunément à notre mémoire: Truismes de Marie Darrieussecq.
Ce court roman m'avait été vanté à maintes reprises comme version féminine de La Métamorphose. Le texte de Kafka, suffisamment universel avait-il vraiment besoin d'être rétréci jusqu'à pouvoir entrer dans un chausson féminin, voire féministe ?
J'en avais différé l'achat, donc la lecture, jusqu'à la rencontre fortuite d'un exemplaire vendu à vil prix sur l'étal d'un bouquiniste.
La taille du livre ayant achevé de me convaincre de l'innocuité d'une tentative, je me lançai.
Grand bien me prit d'oublier de chercher Kafka entre les pages de ce roman. À part la ressemblance facile entre une transformation et une transformation, pas de parenté plus grande entre les destins respectifs de Grégoire Samsa et la narratrice, vendeuse de parfums, de massages et plus si affinités.
Ne rien chercher dans un livre, c'est se donner une chance d'y trouver quelque-chose.
Sans connaître l'éblouissement annoncé, j'ai suivi, sans me forcer, les 150 pages de ce texte. La chair, l'omniprésence de la chair et des sensations corporelles, voici ce que j'en retiens. De la boue, du toucher, tout ce qui, généralement, manque à mes propres textes. J'ai pensé notamment à Corps usagé peu servi, une des nouvelles de Connexion Interrompues, qui aurait peut-être gagné à présenter plus de sensations tactiles que l'obsédante douleur.
Ce qui me restera de ce texte également, c'est sa capacité à créer des ponts avec d'autres lectures qui comptent.
Je pense à Lisbonne dernière marge d'Antoine Volodine et en particulier au Montreur de cochons, ce texte dans le texte issu de la littérature des poubelles, créé, cité et commenté dans le roman de Volodine. La boue, la chair y sont à la fois plus palpables et plus évocatrices. On entend longtemps dans son propre cerveau le bruit des bêches sur les crânes qu'elles fracassent.
Lien aussi avec une parabole biblique. L'une de celles à partir desquelles, je finirai bien par tisser un texte ou l'autre : La parabole du fils prodigue. Le fils ingrat quitte la maison parentale avec sa part prévue de l'héritage. Il veut vivre sa vie et c'est ce qu'il fait jusqu'à ce que, à court de moyens, il se retrouve gardien de pourceaux, obligé pour manger de voler aux animaux les déchets dont il les nourrit. La crasse et la déchéance y suintent en un ichor visqueux.
Un passage de Lolita de Nabokov met en scène, de la même façon, des aubergistes porcins et leur clientèle grossière, vus par le délicat et cultivé Humbert Humbert, tout impatient d’approcher les nues.
Dans ces trois exemples, le porc est le commun, l'homme banal, vautré dans son quotidien et non, comme chez Darrieussecq, une condition extraordinaire et surprenante. On cherche à quitter la porcherie ou on y retombe.
Une seule scène de Truismes pourrait s'inscrire dans cette vision : le séjour dans la ferme de la mère, la lutte pour s'accrocher à un parfum, à un signe de civilisation pour se maintenir au-dessus du lot, pour échapper au sort des cochons ordinaires. C’est presque la fin du roman :
« Ensuite, je suis partie dans la forêt. Certains cochons m’ont suivie, les autres, trop attachés au confort de leur porcherie moderne, ont dû se faire récupérer par la SPA ou par un autre fermier, en tout cas, je n’aimerais pas être à leur place aujourd’hui ».
Des refrains moralisateurs comme celui-là sont éparpillés un peu partout au long du texte. On s’en serait volontiers passé.